Le Département des sciences pharmaceutiques de l’Université de Bâle a fêté ses cent ans en 2017. L’institut a une histoire mouvementée derrière lui – et il s’en est fallu d’un file pour qu’il ferme ses portes. Un regard rétrospectif sur une partie importante de l’identité de la pharmacie suisse.

Les années de fondation

Laboratoire de l’institut de la Totengässlein

L’Institut des sciences pharmaceutiques de l’Université de Bâle a été ouvert le 11 octobre 1917 dans la maison nommée „Zum Sessel“ située à la Totengässlein 3, où se trouve actuellement le musée de la pharmacie de Bâle. Le Dr. Michael Kessler, directeur du musée, est un fin connaisseur de son histoire: « La profession d’apothicaire était à l’origine un apprentissage mais la scientifisation de la médecine au 19e siècle a aussi entraîné l’académisation de la profession. »

Les premières leçons de botanique destinées aux futurs apothicaires ont été dispensées à l’Université de Bâle dès 1830, auxquelles se sont rajoutés par la suite des cours de chimie et de médecine. Vers 1900 un «cours pour apothicaires» a été créé. Il était donné parallèlement à la formation dans la pharmacie. De là s’est fait ressentir, au même moment que les nouvelles exigences légales en matière de formation, le besoin de disposer d’un lieu spécifique de cours et d’un laboratoire, d’où la création en 1912 d’un «Département pharmaceutique» à l’institut de chimie.

Prof.Tadeus Reichstein (à droite sur l’image)

Cette évolution a débouché sur la décision de fonder un institut propre de pharmacie en 1917. Le cours pour apothicaires a continué de faire partie de la formation en pharmacie pratique, équivalent aux cours actuellement proposés pendant l’année d’assistanat en pharmacie. Au début de cette formation, dix à vingt étudiants étaient comptabilisés par semestre.

Entre 1938 et 1952, période durant laquelle le Prof. Tadeus Reichstein a dirigé l’institut a été particulièrement importante. Scientifique de grand renom, il a réalisé une percée révolutionnaire en utilisant une étape de synthèse biotechnologique nécessaire à la production de là la vitamine C alors qu’il travaillait à l’EPF de Zurich. Durant son époque passée à Bâle, il a réussi à expliquer la structure de la cortisone, ce qui lui a valu en 1950 le prix Nobel de médecine. À l’institut, il tenait à maintenir pour les étudiants la culture de la chimie et un niveau élevé en sciences naturelles.

L’institut en crise

Dans les années soixante et septante, l’industrie pharmaceutique a rapidement modifié le paysage pharmaceutique. En effet, toujours plus de médicaments étaient fabriqués sous forme de produits finis par l’industrie, et dès lors, la pharmacie a fini par fonctionner uniquement en tant que point de remise de ces préparations. Le Dr. Michael Kessler remarque que les pharmaciens n’ont réagi que lentement à ce changement, en dépit des appels lancés pour renforcer la position du pharmacien dans l’analytique et dans son rôle de spécialiste des médicaments. Les pharmacies ont dès lors de moins en moins consacré de postes à la fabrication et en parallèle, une législation plus stricte a rendu impossibles certains types de fabrication couramment effectuées autrefois. Cela a aussi résulté sur une crise pour l’institut: le nombre d’étudiants a chuté et la réputation des études en a pâti.

En 1976, une commission de coordination fédérale a proposé de concentrer la formation des pharmaciens sur deux sites au lieu des cinq existants. Le gouvernement bâlois, qui était alors l’organe de direction de l’Université, a accepté cette proposition et décidé de fermer l’institut, suscitant chez les chimistes et les médecins l’espoir de pouvoir bénéficier de davantage de moyens financiers ainsi dégagés.

Suite à ces changements, certains étudiants, résignés, ont changé d’université. Ainsi, pour certains semestre d’étude seul une poignée d’étudiants étaient dénombrés. Parmi le noyau dur décidé de se battre contre cette décision figuraient, Madame Ruth Brüschweiler, alors présidente du groupe de travail estudiantin et Madame Martina Burdeska, qui deviendra par la suite présidente de la Société suisse des pharmaciens/nnes d’industrie (GSIA). Toutes deux ont été soutenues dans leurs activités par le corps professoral.

Cour intérieure de la maison „Zum Sessel“, siège actuel du musée de la pharmacie à Bâle

Des personnalités de la GSIA et de l’industrie pharmaceutique locale ont pu être mobilisées pour la cause. Le Prof. Hans Leuenberger, devenu plus tard chef du Département de la pharmacie, a notamment pu mener un travail de persuasion important grâce à ses contacts de l’Université et de l’industrie. De nombreux entretiens sur l’importance de la pharmacie pour le site de Bâle ont été menés avec différents partis. Les sociétés suisses et l’association bâloise des pharmaciens se sont aussi engagées pour le maintien de l’institut.

La décision de fermer l’institut a été définitivement retirée en 1978. Les efforts engagés ont porté leurs fruits. Les deux femmes de tête font le bilan de ce qu’elles aimeraient aussi transmettre à la génération actuelle: «Il est très important de s’engager et de lever la voix. Si quelque chose vous dérange ou vous plaît, impliquez-vous! Peut-être que le succès n’est pas visible tout de suite, mais cela vaut toujours la peine et un bénéfice en découlera. N’abandonnez jamais, jamais!»

Les trois professeurs ordinaires de chimie pharmaceutique, de pharmacognosie et de technologie pharmaceutique de l’époque arrivant à l’âge de la retraite, aucun n’a prolongé ses activités. Ainsi, de nouveaux enseignants issus de l’industrie ont été recrutés pour compléter le programme d’études. Forts de leur expérience pratique, ces derniers ont pu transmettre les sciences pharmaceutiques dans leur application directe.

Regard en avant

Une fois l’avenir de l’institut assuré, il fallait aller de l’avant. Le nombre d’étudiants a continué de croître: au milieu des années quatre-vingt, l’institut comptait bien 200 étudiants, avec près d’une quarantaine de personnes par semestre. Seul le semestre de spécialisation a trouvé place dans l’étroit local de la Totengässlein – les autres ont essentiellement eu leurs cours et leurs stages dans les auditoires de la chimie, de la physique et de la médecine. Ces conditions précaires ont abouti sur le projet d’édifier un nouvel institut pharmaceutique. Les plans de construction d’un nouveau bâtiment à la Totengässlein ont cependant été vite abandonnés.

Le Prof. Christoph Meier, actuel directeur du département bâlois des sciences pharmaceutiques, se rappelle de cette période durant ses études: «Ce n’est qu’après mes études que j’ai pris conscience que nous n’avions en fait pas notre propre identité pendant nos deux premières années de pharmacie. Nous connaissions surtout les gens des disciplines des sciences naturelles et les étudiants en médecine. En troisième année venait déjà l’année d’assistanat que nous commencions sans avoir beaucoup de connaissances préalables sur les médicaments… Ce n’est qu’au semestre de spécialisation (à partir de la 4e année d’études) que nous faisions la connaissance des professeurs en pharmacie.» La chimie analytique et les longues journées de laboratoire constituaient les éléments dominants des études jusqu’ aux années nonante. La pharmacie orientée vers le patient gagnait toutefois de plus en plus de terrain.

Développement constant

Le «Pharmazentrum» de Bâle, actuellement l’un des six sites du département des sciences pharmaceutiques.

Autour de 1990, le Canton de Bâle a décidé d’associer au «Biozentrum» un nouveau bâtiment consacré à la pharmacie. Le nouveau «Pharmazentrum» a finalement pu être inauguré en 1999. Sujet à convoitise, plusieurs étages ont dû être cédés aux biologistes. De ce fait, l’espace est très rapidement redevenu étroit.

La pharmacie à Bâle doit sans arrêt faire face à de grands défis. Le Prof. Christoph Meier, qui a repris la direction du département en 2012, est souvent impliqué dans des débats budgétaires avec la Faculté : «Avec près de 700 étudiants et les 100 postes du corps intermédiaire (postdocs, maitres assistants), les 7,5 chaires sont actuellement tout simplement insuffisantes.» Un travail opiniâtre et la revendication de la position des pharmaciens portent cependant leurs fruits: « La Rectrice actuelle de l’Université nous soutient énormément. Il y a de fortes chances que notre structure finisse par être adaptée aux circonstances extérieures.»

Quelles perspectives le Département a-t-il dans un proche avenir? Le Prof. Christoph Meier en a une vision claire: «Avec les études et la structure du département, nous aimerions reproduire intégralement toutes les étapes du cycle de vie d’un médicament, depuis le projet par modélisation moléculaire en passant par l’expérimentation animale et la vérification de l’innocuité jusqu’à l’autorisation de mise sur le marché avec les aspects économiques et l’utilisation clinique. Malgré un budget serré, nous parvenons déjà à couvrir en grande partie ces objectifs, toutefois, nous devons avoir plus de personnel pour combler les lacunes qui subsistent.»

De bonnes perspectives d’avenir

La collaboration avec l’industrie doit également être approfondie. Il faut utiliser de façon optimale la matière grise disponible pour la recherche sur le site de Bâle. Ce cours en collaboration a également le soutien de la Rectrice, qui porte un vif intérêt au site bâlois des sciences de la vie. « En effet, le nouveau «Master in Drug Science» s’est bien développé, et un bon quart des étudiants s’intéressent à cette orientation en recherche fondamentale. Nous aimerions y ajouter des améliorations afin d’étendre ce programme. »

A la question « Que souhaiterait le chef du département si le budget n’avait aucune importance? », figure en réponse par exemple des chaires indépendantes en pharmacie clinique et en pharmacoépidémiologie. Une chaire en pharmacologie clinique qui serait intégrée à la pharmacie améliorerait le travail interprofessionnel avec les médecins. Une chaire supplémentaire en technologie pharmaceutique serait aussi précieuse en raison des nouvelles possibilités de la nanotechnologie. Avec une autre chaire en pharmacie moléculaire, la formation de base des pharmaciens en chimie pourrait aussi mieux répondre aux besoins de la spécialisation et cibler d’autres sujets prometteurs en matière de recherche, actuellement reconnus sur le plan international.

Un autre aspect est l’ancrage universitaire grandissant de la formation postgrade des pharmaciens qui se trouve actuellement principalement entre les mains de pharmaSuisse, et auquel l’élargissement de la pharmacie clinique qui tient particulièrement à cœur au Prof. Christoph Meier est intimement liée: «J’aimerais que les pharmaciens aient une plus-value dans leur travail en officine. Celui qui a suivi une formation en pharmacie clinique fait un pas de géant dans les compétences cliniques. On connaît les lignes directrices et la terminologie médicale et ainsi, on est à l’aise pour travailler avec les médecins.» L’objectif ici est d’activer à l’avenir plus de places de formation.

Par ces quelques lignes mes remerciements vont aux Dr. Michael Kessler, Mesdames Martina Burdeska et Ruth Kern Brüschweiler et au Prof. Christoph Meier, qui par le biais de leurs interviews ont permis la rédaction de ce rapport.

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Erwin Wendelspiess

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